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Nos Voisins Lointains 3.11

Surmonter la peur des autres

  • Nos Voisins Lointains 3.11
  • 9 oct. 2015
  • 5 min de lecture

De la part de l’Equipe OK*

Nous publions ci-dessous le texte de Mme Kanae qui est adhérente de l’Equipe OK. Elle est mère de deux enfants qui sont à l’école maternelle.

Kanae est en train de créer un lieu de témoignage à l’école maternelle où vont ses enfants. A cette école maternelle, il y a plusieurs enfants déplacés de l’accident nucléaire de TEPCo Fukushima Daiichi.

Kanae en est coordinatrice, et ce sont les membres, mères déplacées avec les enfants en provenance du département de Fukushima, qui remplissent le rôle de témoin/conteuse.

Il s’agit d’un lieu de témoignage au sein de l’école de leurs propres enfants, organisé par un groupe extérieur (Equipe OK) au bénéfice des parents et salariés de l’école.

La plupart des membres ont poussé une exclamation de surprise en apprenant ce projet : « Comment ! Je ne pourrai jamais faire ça ! C’est étonnant ! ».

Même la capitaine de l’Equipe a déclaré : « Je ne suis pas prête moi-même à organiser un lieu de témoignage à l’école où mon propre enfant est inscrit… »

Comment Kanae a pu faire ce pas courageux qui a étonné tout le monde ?

Voici le texte écrit par Kanae.

***************************

Nous organisons un lieu de témoignage au bénéfice des mères des enfants de l’école maternelle où vont mes propres enfants.

C’était la prise de parole émouvante de notre capitaine adressée aux étudiants de l’Université de l’agriculture et de l’élevage** qui m’a poussée vers cette organisation.

« Que vous chérissez votre propre vie avant tout ».

Tel était le message franc de la capitaine adressé depuis le podium, pleurant à chaude larme.

C’était le moment quand le trouble brumeux occupant mon cœur pendant 2 ans et 6 mois s’est dissipé.

Je suis venue à Sapporo en tant qu’une déplacée, mais l’accident nucléaire de Fukushima Daiichi n’est pas encore achevé. C’est un accident en cours.

La situation s’aggrave de plus en plus.

Plus de 30 ans pour le démantèlement, et en ce qui concerne les déchets nucléaires, nous allons vivre avec le héritage négatif pour plus de plusieurs centaines d’années. Nous vivons dans une situation difficilement saisissable.

Lorsque nous nous sommes déplacés à Sapporo, nous avons laissé derrière nous tout ce que nous avions construit. Car dans nos souci et souffrance, nous nous sommes rendus compte que rien n’était plus important que la vie.

Toutefois, ce qui était le plus dur, c’était le fait de ne pas avoir pu obtenir la compréhension de la part des parents, des frères et sœurs et d’autres proches.

Quand je leur ai apporté des documents afin de les convaincre, ceux-ci ont été repoussés avec des mots : « L’Etat dit qu’il n’y a pas de risque. Es tu devenue folle ? As tu adhéré à une secte religieuse ? » Ils ne prêtaient pas l’oreille de tout.

Je suis arrivée à Sapporo avec un sentiment de souffrance suite à ces expériences.

Je ne sais pas depuis quand exactement, mais j’avais peur de nouer les relations avec les autres.

Surtout avec les mères de l’école maternelle avec qui j’avais affaire tous les jours, je m’interdisais de parler de la vie privée afin qu’elles ne me considérassent pas bizarre, qu’elles ne prissent pas mes enfants comme enfants d’un parent cinglé.

Deux ans après, j’ai commencé le jardinage avec une mère de l’école maternelle avec qui j’ai noué les relations d’amitié.

Elle m’a dit « c’était une terrible expérience pour les habitants sinistrés ».

C’était une parole avec l’attention de partager notre vécu, mais elle me semblait déplacée.

Un instant après, toutes les pensées que j’avais voulu communiquer depuis longtemps jaillissaient de ma bouche d’une après l’autre.

Que la grande majorité était des déplacés de l’accident nucléaire, que 70% entre eux étaient composés de la mère et les enfants (le père restant sur le lieu sinistré) ;

Pourquoi les familles devaient vivre séparément contre leur gré ;

Que l’accident était encore en cours et que la centrale dispersait toujours les matières radioactives tout comme il y avait eu un an ;

Que cela ne concernait pas que la terre sinistrée qu’est Fukushima, mais que cet accident sévère touchait le Japon dans son ensemble et même le monde entier ;

Que la norme actuelle de radioactivité pour les aliments qu’est 100 becquerels/kg était avant l’accident la norme de déchets nucléaires, et que des objets dépassant cette norme avaient été gérés et contrôlés placés dans un tonneau de fer ;

Que personne ne connaissait pas les dégâts sanitaires qui allaient déceler dans l’avenir ;

Que la radiosensibilité des enfants était entre 2 et 10 fois supérieures que chez les adultes ;

Que l’influence de la radioactivité dépendait de la personne ;

Que c’était l’accident de Tchernobyl qui était le premier grand accident nucléaire dans l’histoire de humanité ;

Que 28 ans après l’accident, à Tchernobyl, beaucoup d’enfants souffraient des maladies et qu’il n’y avait que 2% de nouveau-nés en bonne santé.

Elle m’a écouté sincèrement sans prononcer un mot.

Puis elle m’a dit :

« J’ai voulu te demander depuis longtemps, mais je n’ai pas osé, car je ne voulais pas évoquer des souvenirs douloureux. Je suis contente que tu m’aies confié. Merci sincèrement. »

C’était le moment quand j’ai constaté pour la première fois que c’était moi-même qui m’avais convaincue que mon histoire était une histoire déplaisante et ennuyeuse sans aucune valeur pour les autres.

C’était moi-même et personne d’autre qui continuais à juger que personne ne m’écouterait, que personne ne me comprendrait, et que mon histoire était sans valeur.

Elle m’a dit ensuite :

« Ca serait bien si tu peux parler devant les autres mères de l’école maternelle. Je pense qu’il y en a beaucoup qui seront intéressés ».

Une mère de l’école a dit qu’elle voulait savoir par quel choix nous nous trouvions ici. Une de mes amies m’a dit « s’il y a quelque qui veut savoir, même s’il n’y en a qu’une seule, je voudrais parler ».

Personne ne peut protéger uniquement ses propres enfants.

C’est par protéger tous les enfants que nous arriverons à protéger nos propres enfants.

L’avenir des enfants est de notre responsabilité, nous les adultes.

L’organisation de ce lieu de témoignage…

S’il n’y avait pas la parole de la mère de l’école maternelle,

S’il n’y avait pas de courage de Mme Haruko (ntr : qui a bien voulu accepter témoigner devant les autres mères),

S’il n’y avait pas la compréhension des mères déplacées de la même école maternelle,

S’il n’y avait pas la compréhension de l’école maternelle,

S’il les membres ne continuaient pas à m’affirmer que c’était un choix juste,

Elle n’aurait pas pu se réaliser.

Mes souhaits seuls n’auraient pas pu aboutir à son accomplissement.

Il est possible que nous n’arrivons pas communiquer nos pensées aux autres.

Mais si nous ne faisons rien, rien ne se transmettra.

C’est ainsi que j’ai décidé de surmonter ma peur.

Je veux filer l’avenir.

Je voudrais lancer un défi et faire le premier pas.

Kanae (deplacée en famille en provenance de Tokyo suite à l’accident nucléaire) (Les noms sont pseudonymes).

* L’Equipe OK (Team OK) est une association située à Sapporo dans Hokkaido.

** Rakunô Gakuen Daigaku, située à Ebetsu dans Hokkaido.

____

Publication datée du 26 août 2013, paru dans le site web du Team OK


 
 
 

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