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Nos Voisins Lointains 3.11

Oui, je souffre.

  • Nos Voisins Lointains 3.11
  • 15 oct. 2015
  • 4 min de lecture

Oui, j’ai une souffrance.

La réalisation m’est revenue à l’occasion de la visite de Fukushima.

Avec la visite de Fukushima cette fois-ci, le sentiment que j’ai renfermé au fond du cœur a fait surface petit à petit.

Sentir la douleur n’est pas chose facile, mais c’est encore plus pénible d’enfermer et sceller la souffrance au fond du cœur. Cela fait de bien de la faire sortir.

Les expériences d’hier me sont très chères.

Je voudrais prendre de temps pour les chérir et les raconter.

Toutefois, il y a des limites de transmission par les mots écrits.

J’aimerais bien en parler face à face.

Si vous me dites de venir en parler, je m’y rendrai.

  • J’ai vu des lieux qui sont en voie de la reconstruction.

  • J’ai vu des bourgs privés des habitants mais remplis des travailleurs et des véhicules.

  • J’ai vu des terrains à perte de vue où les travaux de décontamination étaient en cours.

  • A la surface des sacs noirs contenant les terres enlevées lors des travaux de décontamination, étaient inscrits les mots « durée 3 ans ». Or, la contamination ne disparaît pas au bout de 3 ans. J’ai vu les lieux de dépôt provisoire où ces sacs étaient empilés.

  • Je suis habituée à voir la montagne de sacs noirs. Mais même moi, j’ai eu le vertige à l’hauteur des montagnes de sacs.

  • Ils faisaient les travaux de décontamination des maisons dont les propriétaires n’ont pas la certitude d’y retourner. Il faut une immense somme d’argent pour décontaminer une maison. Ca serait si utile si la personne ayant décidé de ne pas y retourner peut disposer de cette somme afin de reconstruire sa vie ailleurs. A l’heure actuelle, cette option n’existe pas.

  • Là où il y avait des rizières, des saules ont poussé jusqu’à l’hauteur de poteaux électriques. On ne pouvait plus reconnaître les rizières.

  • La personne qui nous a accompagné nous a montré sa maison dans le quartier de Tsushima du bourg de Namie. Il est dans la zone difficilement récupérable*. Aucuns travaux de décontamination n’ont eu lieu. Personne ne sait s’il y aura un jour les travaux de décontamination.

  • Ils faisaient pourtant les travaux de désherbage au bord des routes. Dans la zone difficilement récupérable, il y avait des lieux où la mesure de la radioactivité s’élevait à 1000 fois supérieures à celle de Sagamigahara**.

  • J’ai porté la combinaison de protection pour la première fois.

  • « Ici, il y avait des myrtilles, ici des ailes, ici des tomates, ici des échalotes japonaises ». Là où ces plantes ont été cultivées, les mauvaises herbes ont proliféré. Il est difficile de voir comment c’était, mais on peut imaginer à travers ces mots une vie riche d’avant la catastrophe.

  • Il nous a montré l’intérieur de sa maison. « Vous pouvez entrer avec vos chaussures. On ne peut pas s’y aventurer sans chaussures » nous a-t-il dit. Quand nous y sommes entrés, le chagrin et la tristesse remplissaient la maison où personne ne vivait depuis le jour fatal. J’ai eu mal à retenir les larmes.

  • En connaissance du sentiment du propriétaire qui nous montrait sa maison, j’ai pris les photos en serrant les dents. Je ne peux pas (je ne veux pas) télécharger les photos. Je voudrais les montrer aux personnes à qui je peux parler face à face et à qui je peux transmettre mes sentiments.

Ce que j’ai écrit n’est qu’une tranche de vie que j’ai pu apercevoir.

Je voudrais que les gens sachent :

Quelle tragédie l’accident a engendré;

A tel point la tragédie continue à faire souffrir les nombreux gens même maintenant, alors que plus de 4 ans aient passé.

J’ai écrit en forme d'une liste. Je prendrai de temps pour élaborer la liste avec des mots choisis soigneusement.

Puis, je dois parler de moi-même.

Dans la voiture en direction du bourg de Namie, j’ai dit « C’est par cette route que les gens se sont évacués avec leur voiture, n’est ce pas ? Je n’ai pas vécu à l’abri. Je n’ai aucune expérience de ce genre d’évacuation… »

Or, il a répondu : « Inutile de vivre une telle expérience. Si on peut s’en passer toute sa vie, c’est préférable. Il vaut mieux ne pas connaître une telle sensation. »

Au début de ma vie de déplacement, je répondais de la même manière aux personnes qui me disaient : « J’aimerais partager votre souffrance, mais je ne peux pas, et cela me donne de la peine ».

Que personne ne vive la souffrance que nous avons vécue.

Je continue à vivre en priant que ce jour libre de souffrance arrive.

J’ai pleuré encore aujourd’hui.

Les larmes m’ont donné de courage d’écrire ce texte.

J’écrirai encore. Je vous prie de me laisser écrire.

* La zone d’évacuation où la mesure de la radioactivité dépasse 50mSv/an.

** Dans la préfecture de Kanagawa où l’auteur réside actuellement suite au déplacement.

___

Publication datée du 7 octobre 2015 dans Facebook de Mme Kumi KANOME déplacée à Kanagawa depuis la préfecture de Fukushima.


 
 
 

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