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Nos Voisins Lointains 3.11

Elle a témoigné retenant les larmes

Suite à notre publication « Surmonter la peur des autres », nous publions ici le témoignage de Mme Haruko à l’occasion d’un rencontre organisé par Mme Kanae dans une école maternelle.

Le 24 septembre 2013, jour historique pour l’Equipe☆OK, le rencontre a commencé dans une pièce d’une école maternelle après que les enfants aient été partis à l’école.

Il y avait un peu plus de 20 mères de l’école et 7 membres de l’Equipe☆OK qui encadraient l’événement.

En voyant les mères de l’école faisant l’accueil et la mise en place, nous, les membres de l’Equipe avaient déjà les larmes aux yeux (rire).

Dans l’atmosphère où on sentait la tension de Kanae, l’organisatrice, et Haruko, le témoin-conteuse, le rencontre/témoignage a commencé avec la parole d’accueil de la présidente de l’école maternelle.

« Lorsque j’ai entendu parler de ce projet, j’ai eu une hésitation, car en tant que présidente de l’école maternelle, je suis obligée de maintenir une position neutre vis-à-vis des centrales nucléaires.

D’un côté, il est possible qu’il y ait des famille dont des membres travaillent aux centrales nucléaires….

Mais d’un autre côté, il y a des personnes qui ont eu beaucoup de souffrance suite à la catastrophe et à l’accident nucléaire.

A cette école maternelle, il y a plusieurs familles réfugiées de la catastrophe.

J’ai décidé de mettre l’école à la disposition, puisque je pensais que ça serait utile de partager les expériences douloureuses parmi les parents des enfants. »

Après la présidente, Kanae, l’organisatrice de la journée, a expliqué comment elle est arrivée à la décision d’organiser le rencontre.

« Lorsque je me suis déplacée de Tokyo, je n’ai pas pu obtenir la compréhension de la part des parents ou des amis. Je suis arrivée ici ayant une souffrance au cœur. Je me suis renfermée sur moi-même en pensant que personne ne me comprendrait ici non plus.

Mais au cours d’une conversation, j’ai parlé à une mère de l’école maternelle de la raison pourquoi les déplacés de l’accident nucléaire ont quitté leurs lieux d’habitation, de leurs sentiments ainsi que de la situation actuelle… bref, tout ce dont je voulais parler depuis longtemps…

Alors, elle m’a dit « Merci de m’en avoir parlé. J’ai voulu te demander depuis longtemps, mais je n’ai pas osé, car je ne voulais pas évoquer des souvenirs douloureux. J’aimerais que tu en parles à l’école maternelle. ».

C’est en ce moment-là que je me suis rendu compte que c’était moi-même qui m’enfermais.

J’ai organisé ce rencontre/témoignage pour que les mères de notre école maternelle sachent la réalité. »

C’est cette réalisation étonnante du fait que Kanae était elle-même l’origine de son enfermement qui a permis la mise en oeuvre de cette journée.

Après un applaudissement chaleureux, Haruko a pris la parole en retenant les larmes courageusement.

« Il y a 3000 déplacés dans Hokkaido, et 70% d’entre eux est composé de familles monoparentales de mère et enfants. Je voudrais que les gens acquièrent une meilleure compréhension sur la centrale nucléaire et la radioactivité, en écoutant ce qui est arrivé à ma famille. C’est la raison pour laquelle je prends la parole aujourd’hui.

Je suis née et j’ai grandi au bourg de Sukagawa dans la préfecture de Fukushima.

Nous avons construit une maison à côté de celle de mes parents, et j’y vivais avec mon mari et quatre enfants.

Le 11 mars 2011, je travaillais comme temps partiel au restaurant de mes parents.

J’ai eu très peur en voyant les bâtiments et le bourg s’écrouler, et j’ai été très angoissée jusqu’à ce que j’aie enfin retrouvé mes enfants sains et saufs. Heureusement, il n’y avait pas trop de dégâts à la maison sauf quelques fissures et des objets tombés par terre. Cependant, l’eau communale qui coulait encore immédiatement après le tremblement de terre s’est arrêtée petit à petit jusqu’à la coupure complète. Cela m’a donné un choc. Nous nous sommes couchés la nuit tous habillés, mais nous n’avons pas pu dormir à cause de la peur.

Les 12 et 13 mars, les marchandises sont disparues des rayons des supermarchés, et comme nous avions la coupure d’eau, j’ai été complètement préoccupée de trouver la nourriture et de l’eau. Et le 12, il y a eu l’explosion de Fukishima Daiichi. J’étais très angoissée après avoir appris la nouvelle. Il y a eu des chaînes mails (ntr : e-mail demandant au receveur de le faire suivre aux plusieurs personnes). A leur lecture, j’ai interdit les enfants de sortir, et j’ai essayé de sauvegarder les bois pour le poêle entassés dehors. J’ai eu une dispute avec mon mari qui me disait de ne pas me faire influencer par des rumeurs incertaines.

Kanae :

« A Tokyo également, il y a eu la circulation des chaînes mails suggérant d’éviter la pluie et de ne pas sortir. En lisant cela, je portais une cape de pluie. Ces mails ont été bien utiles quand on y pense maintenant, n’est ce pas ? »

Haruko :

« Oui, ils contenaient de l’information correcte. C’est moi qui ai sauvegardé les bois (rire).

Mais personne ne nous a dit ce que nous devions faire suite à l’explosion de la centrale nucléaire.

Je suis allée à l’école maternelle parce que j’avais à faire. Or, le président de l’école m’a dit de m’enfuir car la situation était très grave. C’était la première fois quand je me suis rendu compte de la situation. C’était le 14 mars.

J’ai appelé mon père (ntr : adoptif ?) qui se trouvait dans la préfecture d’Aichi. Il m’a dit d’aller chez lui quand je voulais. Cependant, mon mari ne partageait pas de tout mon sentiment de détresse. Il disait qu’il n’y avait pas de danger, puisque ni le gouvernement ni les mass-média ne nous conseillaient de s’enfuir.

Le 15 mars, mon père biologique qui habitait à la maison voisine m’a dit de partir. Avec ma sœur cadette, mes nièces et neveux, nous étions neuf pour nous enfuir pour Aichi.

Il se trouve que l’entreprise nous a fourni l’essence de voiture, et comme mon mari avait un congé, nous avons pu partir.

Mes enfants m’ont demandé quels objets ils pouvaient apporter avec eux. Je voulais tout emmener, mais comme il y avait beaucoup de monde et nous avions des couettes et des vêtements chauds pour l’hiver entassés dans la voiture, nous n’avons pu prendre que le minimum nécessaire.

Beaucoup de gens autour de nous n’ont pas pu s’enfuir à cause du manque d’essence ou à cause de travail. J’ai souffert du fait que notre famille partait seule en les laissant derrière.

Nous sommes restés à Aichi pendant une semaine, mais nous n’avons eu aucune nouvelle de Fukushima. Notre vie d’évacuation entre 6 enfants et 3 adultes est arrivée à sa limite. Nous sommes donc retournés à Fukushima le 22 mars.

Kanae : Que pensait votre mari au retour de la première évacuation ?

Haruko :

Nous n’étions pas dans la circonstance de parler de nos ressentiments, mais je crois que pour lui, il s’est déplacé parce qu’il avait un congé, et non pas parce qu’il avait peur de la radioactivité.

En ce qui me concerne, je ne suis pas retourné parce que je pensais que c’était en sécurité. C’est pour cela qu’une fois de retour, j’ai consacré beaucoup de temps pour collecter l’information. Entre-temps, tout est revenu à la normale ; le travail, les écoles primaire et maternelle.

Je ne pouvais pas croire ce que le gouvernement annonçait, mais je m’attendais à ce qu’il nous évacuât des régions touchées par une haute mesure de radioactivité.

C’est ainsi que je n’ai pas pensé à notre évacuation tout de suite, en réfléchissant sur la manière avec laquelle on pourrait reconstruire Fukushima, et sur la part que je pourrais jouer dedans.

Cependant, au fur et à mesure que je collectais l’information et apprenais sur la radioactivité, ma peur ne faisait que grandir.

Mon lieu de travail se trouvait à la ville de Kôriyama. Il y avait 0,4µSv/ h à l’intérieur du restaurant».

Kanae : « Le seuil au-dessus duquel l’administration locale doit réaliser les travaux de décontamination à la demande des citoyens est de 0,23µSv/h. »

Haruko :

« Le restaurant du mon père avait comme principe la production locale, la consommation locale. Ce principe n’a pas changé après le 11 mars. Il disait que les produits étaient sans risque puisqu’ils avaient été cultivés dans les lieux sans risque.

J’étais très préoccupée, et cela m’a fait de la peine de dire « bien venu » et « merci beaucoup » aux clients du restaurant, incluant des bébés et des personnes âgées.

Ce que je voulais est de protéger les enfants et non pas de dire « merci » en leur fournissant les repas des produits locaux pour la consommation locale. C’est ainsi que j’ai quitté le restaurant au mois de mai.

Cependant, on ne pouvait plus vivre comme avant.

On ne pouvait pas laisser les enfants jouer dehors. On avait peur des aliments.

C’est dans cette circonstance que j’ai commencé la préparation d’auto-évacuation* grâce à la relation que j’avais nouée avec une personne. »

Kanae : « Qu’ont dit votre mari et vos enfants sur la radioactivité ? »

Haruko: « Mon mari ne connaissait pas grand-chose sur la radioactivité, mais il a enfin compris mon sentiment d’insécurité après avoir assisté à la conférence sur la radioactivité organisée par un ami.

Quant à mes enfants, je leur ai parlé du risque de la radioactivité, et je les ai fait porter le masque, le manteau et le chapeau. Plus je faisais la recherche sur la radioactivité, plus j’avais la peur et l’angoisse. Mes enfants ont sans doute senti ma détresse, car ils ne les ont pas refusé.

A l’école maternelle, les personnels ont changé les aliments vers les produits en provenance du Japon de l’Ouest, et ils en ont mesuré la radioactivité. Cela m’a donné l’assurance pendant que mes enfants étaient à l’école. Comme les personnels ont respecté l’angoisse des parents, cela m’a fait de la peine de les quitter. Les maîtres étaient encore jeunes, et cela m’a donné de souci.

On a décidé de s’évacuer entre moi et les enfants, pendant que mon mari restait à Fukushima pour continuer à y travailler. Comme mon mari prenait une part importante dans l’éducation des enfants, cela m’a fait un peu peur, mais mon mari ne pensait pas de tout de se déplacer lui-même. Nous avons pu prendre la décision sans trop de problème.

Dans le contexte qui suivait l’accident Fukushima, nous voulions montrer aux enfants comment les adultes y ont fait face sans s’évader. J’ai décidé de quitter notre maison tant aimée et chérie, car il était impossible d’y vivre quand on pensait aux effets à la santé des enfants et au-delà.

Ce n’était pas la question de choisir entre le mari et les enfants. Nous avons décidé de protéger les enfants ensemble. Je pense que mon mari a beaucoup souffert en laissant les enfants partir.

Nous sommes arrivés ici dans Hokkaido au mois de juillet 2011.

Lorsque j’étais à Fukushima, où que j’allasse, qui que ce fût, personne ne nous a parlé de l’évacuation, mais une fois nous étions ici à Hokkaido, tout le monde nous a reçus chaleureusement, à l’école maternelle, à l’école primaire, au groupe de soutien…

A l’époque, je me sentais que c’était égoïste d’avoir voulu me déplacer, mais beaucoup de monde a approuvé ma décision et nous a accueillis, ce qui m’a fait beaucoup de plaisir.

A Fukushima, il n’y avait personne à qui je pouvais me confier.

Mon père est venu jusqu’à Sapporo pour me convaincre de retourner, en apportant des documents sur la déclaration du gouvernement comme quoi on était en tout sécurité à Fukushima. Il n’a jamais compris la nécessité d’évacuation entre mère et enfants.

Jusqu’à ce que je ne soie arrivée ici, j’étais pleine de méfiance vis-à-vis des gens.

C’était une surprise de pouvoir me nouer avec des autres personnes de nouveau, et je suis étonnée également de me trouver heureuse dans ces relations.

Cependant, cela m’attriste souvent de savoir que la famille vit séparément pendant si longtemps.

Cela me fait de la peine d’être séparée de mon mari.

A Fukushima, des gens vivent comme si la catastrophe n’a jamais eu lieu.

Il y a même des endroits qui sont devenus plus vivants à cause de l’arrivée des déplacés du tsunami. Je pense à mon mari dans ce contexte.

Ce qui me soutient dans cette vie de double ménage, c’est sa parole qui m’a affirmé que « nous ne sommes pas dans l’erreur d’avoir passé en priorité la vie de nos enfants ».

Nous avons pris la décision de ne pas retourner à Fukushima jusqu’à ce que l’enfant cadet n’atteignît 18 ans.

Cela fait 2 ans que nous avons le double ménage. Il y a un an, mon mari disait qu’il aimait trop Fukushima et que c’était impensable de la quitter. Cette année, il a dit qu’il voulait venir à Sapporo.

En espérant qu’un jour nous nous réunirons à Sapporo, je vis ma vie en remplissant mon rôle quotidiennement.

Depuis mon arrivée à Sapporo, je trouve que chacun et chacune a une approche différente vis-à-vis de la radioactivité.

J’ai des amis avec qui je peux parler de la radioprotection, des amis qui sont de différentes situations mais qui reconnaissent les positions des autres, des amis qui me disent « quel travail avec quatre enfants ! » ; c’est ma grande chance d’avoir pu nouer les relations avec l’Equipe☆OK. »

Kanae : On a très peu de temps qui reste. Voulez vous ajouter quelque chose ?

Haruko :

« L’accident nucléaire nous a obligés de nous déplacer. J’ai pu constater que c’est moi qui dois prendre la décision afin de protéger ceux qui me sont chers. Dans ma vie de tous les jours, je confirme que ceci a un sens important ».

Beaucoup de gens portaient les mouchoirs aux yeux, alors que Kanae a conclu.

« L’accident de la centrale nucléaire a obligé Haruko de se déplacer… Elle vivait à 60km de la centrale. Or, Sapporo se trouve à 60km de la centrale de Tomari.

Si jamais il y a un accident à la centrale de Tomari, je vous prie de privilégier la vie. C’est ainsi que vous arrivez à protéger les enfants.

Je ne peux pas apprécier l’accident, mais je suis heureuse maintenant d’avoir rencontré les amis, les maîtres de l’école maternelle et les mères, ainsi que la nature splendide de Hokkaido, grâce à la décision de passer en priorité l’importance de la vie.

C’était sans doute ce message que Kanae voulait transmettre aujourd’hui.

La présidente de l’école a pris la parole pour conclure. Parmi les mots, ceux qui m’ont chauffé le coeur sont ceux-ci :

« Ce que je voudrais vous communiquer, c’est que vous n’avez pas besoin de faire des efforts (gambaru).

Parlez, si vous pensez que « parler » peut vous soulager.

Eclatez en rire, si cela est possible de le faire ici.

Si vous avez la souffrance, on est là pour s’entraider. »

Merci Mme la présidente de nous avoir mis l’école à disposition.

Le rencontre a terminé parmi les larmes chaudes.

Après, quelques unes entre nous ont fait des cercles pour échanger les impressions.

« Je suis contente d’avoir entendu le témoignage » ;

« Je n’avais pas pu poser des questions, car j’avais peur de blesser » ;

« Comment peut-on critiquer l’évacuation ? C’est tout naturel de vouloir protéger les enfants » ;

Ce sont des impressions des mères des enfants de l’école, qui comprenaient et partageait les expériences de Haruko.

Nous, en tant qu’amis de deux qui ont organisé ce rentre/témoignage, nous sommes très rassurées, et nous nous sommes rappelées les mots de la capitaine de l’Equipe☆OK : « Aux vrais mots, il y a toujours un vrai soutien ».

Nous témoignons un respect profond au courage de Haruko et de Kanae d’avoir parlé ainsi à l’école maternelle.

Cela fait un grand pas pour nous les évacué-e-s, et pour tous les contemporains.

Merci encore !

*s’évacuer sans l’ordre d’évacuation

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Publication datée du 10 octobre 2013 dans le blog de l’Equipe☆OK.

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