Échanges entre des sinistrées nucléaires il y a 2 ans et depuis 3 jours
- Nos Voisins Lointains 3.11
- 14 août 2015
- 4 min de lecture
A partir de l’article écrit par Mme Takako SHISHIDO il y a 2 ans, et republié automatiquement par Facebook, nous pouvons lire les échanges entre les amis de Facebook autour de Mme SHISHIDO il y a 2 ans, et depuis trois jours.
Mme SHISHIDO a fui Fukushima pour vivre à Sapporo dans Hokkaido.
Voici l’article daté du 12 août 2013.

Je pense au fait étonnant de vivre une vie ordinaire, alors que probablement nous fassions face à une crise insensée.
Sortir les poubelles, faire le ménage, concevoir le menu de déjeuner, penser à organiser la réunion de communication de l’association de parents d’élèves…
C’est encore interdit d’habiter dans mon pays natal. Au lieu d’accueil où je me suis déplacée, il y a encore beaucoup d’amis et de connaissances qui continuent à vivre comme refugiés.
Or, les gens de Tokyo prennent le plaisir au shopping comme si rien n’était, et ma voix fond et disparaît dans l’air chaud.
C’est douloureux de faire face.
On ne peut pas vivre si on faisait attention à la radioactivité.
C’est tout à fait normal de penser ainsi.
Si on nous dit que demain il faut abandonner la vie quotidienne, qui pourrait rester tranquille ?
C’est aussi étrange de vivre une vie « ordinaire » dans la situation extraordinaire qu’est l’ « évacuation ».
Les mots accumulés à l’intérieur de mon corps errent, cherchant la sortie.

COMMENTAIRES
Commentaires au mois d’août 2013
Mme HT (déplacée à Sapporo) : J’essaie de ne pas trop accumuler. J’utiliser Facebook comme poubelle. On me dit que j’écris trop. Et encore, ce n’est même pas la moitié.
Mme JH (déplacée à Sapporo) : En gardant le sentiment de crise, ne sachant pas quand le jour final arrive, il faut toutefois accorder l’importance à la quotidienneté pour vivre. Je vis au jour le jour en gardant un équilibre extraordinaire.
Mme HT : (à Mme JH) Je comprends tout à fait. C’est un équilibre très fragile qui risque de s’effondrer à quelconque incident. De temps en temps, je suis émerveillée par le fait que j’ai pu garder la tête sur les épaules jusqu’à maintenant.
Mme AY (qui continue à vivre à Fukushima) : Pour moi, ce n’est pas une charge trop lourde de vivre tous les jours en pensant à la radioactivité. C’est un quotidien différent de la vie ordinaire. J’ai pris l’habitude. Ce quotidien est devenu ordinaire pour moi. C’est peut-être parce que j’ai pris conscience du fait que je ne peux pas compter sur quelqu’un ou attendre quelque chose. Je dois choisir une vie qui me convient, et je dois vivre avec ma propre responsabilité sans la renvoyer sur d’autre.
Mon fis a dit « Fini, la fuite de la réalité », quand il est revenu des vacances sanitaires d’un mois à Hokkaido en 2011. Ses mots résonnent encore dans mes oreilles. Je passe l’été 2013 seule sans lui (ntr le fils s’est évacué seul), en maintenant une conscience de crise. Donne moi encore de tes nouvelles, Takako.
Mme KY (qui continue à vivre à Fukushima): Je ne cesse pas à errer.
Commentaires depuis le 12 août 2015
Mme SD : J’ai relu parce qu’il était partagé. Ca fait 2 ans.
Mme Takako SHISHIDO : Merci Mme SD. J’ai l’impression que rien n’a changé depuis.
Mme HT : Moi aussi, quand j’ai relu, je me suis dite, quoi ? C’est pareil maintenant.
Mme Takako SHISHIDO : Exactement. Je suis tout à fait capable d’écrire la même chose.
Mme HT : Oui, j’ai du vérifier la date. Je me suis demandée si ça datait vraiment depuis 2 ans.
Mme Takako SHISHIDO : On a fait beaucoup d’efforts. Je me sens que des choses bougent petit à petit. Ummm, il faut réfléchir sur ce que nous pouvons faire.
Mme HT : C’est merveilleux qu’on a pu maintenir la vie quotidienne pendant 4 ans et demi dans la situation extrême. Je suppose que tout le monde a fait des efforts de manière désespérée.
Mme Takako SHISHIDO : Tout le monde a fait un effort suprême. Mais on ne peut pas relâcher encore. Ca serait bien si on peut se décharger petit à petit. Au moins celles qui peuvent se permettre.
Kurumi SUGITA (c’est moi) : Mme SHISHIDO, puis je traduire cette publication en français et publier en France ?
Mme Takako SHISHIDO : OK pour moi.
Mme AM (déplacée de Fukushima à Nagano): Kurumi et son équipe mènent une recherche sur des déplacés sur la période de 3 ans, mais j’ai l’impression que dans les films sur les centrales nucléaires, il y a peu de reportage sur les déplacés dits « volontaires » (ntr ceux et celles qui sont en provenance des régions en dehors des zones d’évacuation officielle). Je me sens qu’on nous lâche dans la nature une fois nous sommes déplacées… Des déplacés font des activités diverses. Je pense que nous devons faire savoir au public comment nous vivons quotidiennement.
Kurumi SUGITA : (à Mme AM) Une chose qui me gêne actuellement est la peu de références faites aux déplacés en provenance des régions en dehors de la préfecture de Fukushima. Mme Shishido, excusez nous pour notre discussion.
Mme AM : Oui, on tiendra les Jeux Olympiques comme si rien n’était, mais il y a beaucoup de tâches de léopard radioactives. La contamination s’étend aux préfectures d’Ibaraki, de Gumma, de Tochigi et de Kanagawa. Il n’y a qu’une toute petite minorité qui s’en est évacuée. Comme il n’y a pas de compréhension sociale, ces déplacés se taisent. Entre-temps, l’irradiation continue, et comme les gens ne prennent aucunes mesures de radioprotection, l’effet est sans doute en train de s’aggraver. Une mère déplacée en provenance de la préfecture d’Ibaraki m’a dit qu’autour de son mari qui y est demeuré, trois personnes sont atteintes d’une leucémie.
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Publication datée du 12 août 2015 dans Facebook de Takako SHISHIDO, déplacée de Fukushima à Sapporo dans Hokkaido.